En hommage à mon père(photo ci annexée) Christian BOUHOURS, passionné d’Histoire et d’histoires qui a recueilli la parole des anciens du village. Voici les souvenirs de Madame Jeanne Bonnemaison autour de la Première Guerre mondiale tel qu’il les a retranscrits sur un vieux cahier d’écolier.
Le samedi 30 juillet sortant de l’école à 4H du soir, j’arrive sur la place de l’église. Il y avait de grands nuages noirs et un grand vent qui me faisait peur. Je cours jusqu’à la maison et là, maman me dit «Tu sais Jeanne, il va y avoir la guerre ! Ton père part soldat lundi matin.» Je restais muette de stupeur mais maman continua. «Et ce n’est pas seulement ton père, hélas, mais tous les hommes du village qui vont partir.» Alors, je me suis mise à pleurer, je ne pouvais pas me consoler.
Le dimanche soir on a préparé le sac pour mon père. Maman a rempli la bourse de papa avec des louis d’or afin qu’il ne manque de rien. Le lundi matin, tous les jeunes hommes sont partis avec des pancartes, «Tous à Berlin» car on nous avait inculqué la haine des Allemands. Le village était tout triste après le départ du petit train qui les emmenaient. Il ne restait que les hommes âgés, les femmes et les enfants.
Le mercredi une commission de réquisition est venue à Saint-Lys. Il a fallu amener les chevaux et les charrettes qui ont été examinées et réquisitionnés. Sur les trois chevaux que nous avions, on nous en a pris deux. En plus, on nous a réquisitionné une charrette sur les deux que nous possédions.
Tous les matins nous allions à la Poste où était affiché le communiqué du G.Q.G qui venait d’arriver de Toulouse. Dès le premier jour les fermières se sont mises courageusement au travail aidées de leurs enfants et des vieillards. Le dépiquage, les soins de la ferme, les travaux des champs ont été ainsi effectués pendant toute la guerre par les femmes et les gosses. Par exemple mon futur mari, qui avait à peine treize ans, a remplacé son père mobilisé pour faucher les prés dès 1915.
Ce qui était poignant c’était de ne plus entendre les bruits familiers du travail des artisans du village même si des vieillards s’étaient remis au travail car il fallait que le village continue de vivre. Les facteurs, les instituteurs étaient remplacés par des retraités. Quelques semaines après le début de la guerre, il est arrivé des réfugiés qu’il a fallu loger. Ils étaient dépourvu de tout mais ils se mirent vaillamment au travail. Il y a eu une grande solidarité de la part des Saint-Lysiens qui ont bien accueilli ces pauvres gens.
Plusieurs mois après le début de la guerre, un hôpital annexe fut ouvert dans le village. Il était d’abord logé à la mairie dans les anciennes classes de l’école de garçons car depuis 1913 une école de garçons et une école de filles avaient été ouvertes dans les nouveaux locaux sur l’ancien foirail. M et Mme Devèze en étaient les directeurs. Monsieur Devèze fut mobilisé en 1914. Dans cet hôpital il y avait deux grands salles de quinze lits. Il y avait aussi une cuisine. Deux infirmiers, deux hommes de Saiguède M Bordes et M Moulis soignaient les blessés. Les trente blessés étaient surtout des blessés de la face. Le village ressemblait à une grande famille, réfugiés, blessés, personnel soignant étaient accueillis dans les maisons des Saint-Lysiens. Tout le monde était solidaire dans le malheur.
La vie a continué. Chaque mardi il y avait toujours le marché. Une fois par mois, les femmes des mobilisés du canton venaient à la perception de Saint-Lys pour toucher les maigres allocations de leurs enfants. La guerre se prolongeant, on établit enfin des permissions pour les poilus. Les permissionnaires arrivaient le matin par le train de Boulogne sur Gesse1 et s’arrêtaient à Bruno. Ils avaient trois kilomètres à faire à pied. Ils arrivaient vers 8h et je guettais les voyageurs de ma fenêtre pour savoir s’il y avait parmi eux des soldats qui auraient le bonheur de passer quelques jours dans leur famille. Ils venaient de leurs unités dispersées tout le long du front mais ils se rencontraient souvent à la gare régulatrice des Aubrais-Orléans. C’est ainsi que mon père reconnut, au milieu du brouhaha de centaines de soldats, les éclats de la voix sonore de Gabriel Millet qui arrivait lui aussi en permission. Il fallait plus de vingt-quatre heures pour gagner Toulouse depuis les gares en arrière du front2.
Malheureusement les avis de décès des soldats avaient commencé à arriver par la Poste dès les premiers mois de la guerre3. C’était le maire, Marius Savignol, ou un adjoint qui venait avertir la famille. Les avis de disparition arrivaient eux aussi par la Poste, après avoir averti le maire ou un adjoint on l’affichait à la mairie. Quand le décès était confirmé, il y avait une cérémonie funèbre à l’église. C’était comme un enterrement ordinaire. On disait la messe des morts. Le prêtre prononçait l’absoute comme s’il avait été en présence du corps du soldat. Ce ne fut qu’après la guerre qu’on a ramené plusieurs dépouilles de ces victimes pour être inhumées dans notre cimetière. Le petit train du Su-Ouest (C.F.S.O) les amena les uns après les autres dans un wagon spécial. Tout le village se rendait à la gare. Puis musique en tête, la population en cortège accompagnait le cercueil jusqu’à la tombe commune où s’éleva le monument aux morts. Cependant plusieurs soldats morts à la guerre reposent dans des caveaux de famille. Enfin, sont restés dans les cimetières militaires où sur les champs de batailles où certains combattants avaient disparu, le corps de ceux dont les familles pensaient qu’ils devaient rester parmi leurs camarades4.
Pendant toute la guerre nous avons suivi les habitudes d’avant guerre. Le village était une grande famille, il y avait bien quelques mauvais caractères, quelques gens qui n’étaient pas sociables mais il y avait une bonté que l’on peut appeler familiale. Même dans le commerce on retrouvait une honnêteté bienveillante. Les clients que l’on considérait plus comme des amis que comme des chalands, étaient fidèles à la boutique qu’ils fréquentaient et le commerçant attaché au client. On s’intéressait à l’autre, on se demandait des nouvelles. Un client ne nous dérangeait jamais. La boutique étaient ouverte du matin jusqu’au soir. Au moment des repas, le client entrait dans la cuisine où nous étions attablés, on l’invitait à partager la soupe ou à boire un verre de vin ou une tasse de café. On vivait d’une façon beaucoup plus fraternelle que maintenant. Aussi lorsque que quelqu’un était dans le besoin on venait à son secours et s’il était dans le deuil on compatissait réellement. Au bout d’un certain temps certains produits manquèrent dans les magasins. En 1917, l’usine à gaz ne put s’approvisionner en cyanure réservé pour l’armée et il n’y eut plus d’éclairage public. Il fallut installer quelques quinquets aux principaux carrefours du village. La même année il y eut des restrictions sur le charbon domestique, le sucre, les pommes de terre. Les pâtisseries fermèrent deux jours par semaine, les boucheries l’après-midi. En 1918, on établit une carte de pain, nous avions droit à 300 grammes par jour par personne, on rationna le pétrole, le café...
Je n’ai accompagné, à la gare, ni mon père, ni personne de ma famille, lors de la mobilisation. Pas plus que je ne l’ai fait plus tard, pendant la guerre, lors du départ des permissionnaires. J’avais trop de chagrin. Quand mon père repartait on faisait en sorte, à la maison, que je ne le sache pas pour éviter des adieux trop déchirants. Nous avions des amis M Male à Saiguède qui avait des filles et M Rode à Plaisance-du-Touch . Quand ils venaient en permission, c’étaient nous qui y allions, à bicyclette avec mes cousins et une amie, manger chez eux. Et quand mon père venait en permission, Madame Rode amenait ses enfants chez nous à Saint-Lys. Ils arrivaient dans leur voiture à cheval. Nous profitions pleinement des jours trop rares ou nous avions «nos soldats» parmi nous.
A la fin de la guerre, nous avions parfois la visite de cavaliers américains qui étaient cantonnés dans le secteur de Plaisance-du-Touch. Ils avaient vraiment fière allure.
Le lundi 11 novembre, nous étions à l’école. Soudain, les cloches se sont mises à carillonner. Les institutrices et instituteurs nous ont laissé sortir de l’école. On était comme des fous. Les gens tendaient des guirlandes dans tout le village et devant la mairie il y avait des ballons. Les mâts pour tendre les décorations de fête, que l’on n’avait pas sortis depuis quatre ans, étaient prêts à recevoir toutes les banderoles que les habitants confectionnaient. Dessus nous avions écrit «Honneur à la France» ou «Honneur à nos soldats». Les cloches sonnaient à toutes volées y compris la grande cloche, le tocsin. Nous étions fous de joie. Tous les jeunes sautaient comme des poulains en liberté. Mon futur mari était sur la route de Saiguède avec un break. Il avait conduit le docteur Verdier chez Mme Mazère. Le docteur est sorti au moment où les cloches se sont mises à sonner. Il a eu à peine le temps de s’asseoir dans le break que Bonnemaison a fouetté le cheval et que l’attelage est parti à fond de train dans la côte de Saiguède. Monsieur Verdier avait beau protester «Attention bougre, tu vas me tuer, tu vas me tuer !» Mais mon futur mari n’écoutait rien tant il lui tardait de venir se joindre aux autres jeunes. Ils ont traversé Saint-Lys au grand galop et se sont engouffrés sous le porche de la maison Verdier.
Il Il n’y a pas eu de cérémonie officielle le jour même comme si les autorités avaient voulu laissé les familles des survivants à leur bonheur mais aussi laisser à ceux qui avaient perdu un des leurs, le temps de se préparer à la paix revenue.
C’était fini de la crainte, de l’angoisse, du malheur. Pour nous c’était fini de la guerre, de toutes les guerres.
En 1921, je me rappelle de la construction du monument aux morts puis de son inauguration. C’était Monsieur Bouas qui était alors le maire. Il a fait graver le nom d’un fusillé sur le monument de la façade de la mairie. Cependant le village avait changé. Des vides s’étaient creusés dans les familles touchées par la mort du père, du frère, du fils... Les veuves devaient faire face. Des agricultrices, restées seules, devaient quitter leur métairie. Madame Ferré avec ses deux enfants a continué à gérer sa boucherie. Madame Fréchou avait fermé la forge et s’était placée comme bonne à la pâtisserie de la rue des Moulins. Des blessés de la face, soignés à Saint-Lys, se sont mariés avec des Saint-Lysiennes, ainsi Monsieur Cébron, un breton, a épousé Jeanne Arnaud. Ils ont eu une fille. Monsieur Loudemaine a épousé Marie Montamat. Il y eut d’autres couples qui se sont formés ainsi. Pour remplacer les hommes dans les fermes sont arrivés des familles d’émigrés italiens mais aussi des Russes. Vraiment le village avait changé !
Notes :
1. En 1916, une partie des locomotives du petit train fut envoyée à Verdun pour renforcer le trafic du «Meusien», chemin de fer à voie étroite qui participait au ravitaillement de la place forte d’où un «étirement» des horaires de notre ligne Toulouse Saint-Lys et retour.
2. Site rail4402.fr/PAGES/L_03/L03_03.htm consulté le 10 juin 2022. Transports des permissionnaires par Marcel Peschaud, secrétaire général de la Compagnie du Chemin de Fer d'Orléans. “Le transport des permissionnaires a exigé, de son côté, l'emploi d'un grand nombre de trains, qui n'a cessé d'augmenter considérablement d'année en année. Le réseau du Midi, qui n'avait fait circuler aucun train de permissionnaires dans les années 1914 et 1915, en assurait 219 en 1916 et 2.225 an 1917.
Le P.-L.-M. n'en signale point en 1914 ; en 1915 il en relève 1.400, 5.100 en 1916, 10.900 en 1917 et 10.800 en 1918. «À la fin de 1918, lit-on dans le dernier Rapport du Conseil d'Administration du P.-L.-M., les seuls trains de permissionnaires, sur notre réseau, comportaient un parcours journalier de 13.000 kilomètres, soit plus du cinquième du parcours des trains de voyageurs du réseau». Le réseau de l'Est en a vu circuler 3.750 en 1915, 19.200 en 1916, 34.700 en 1916 et 30.600 en 1918. Le Nord les évalue à 4.200 environ en 1915, à 11.800 en 1916, à 28.000 en 1917, à 18.800 en 1918. il note que le nombre des trains de permissionnaires ayant circulé à vide est d'environ 9% du nombre de ceux qui ont circulé chargés.L'Orléans déclare avoir transporté comme permissionnaires en provenance du front, 233.000 hommes en 1915, 1.215.000 en 1916, 2.082.000 en 1917, 1.200.000 en 1918.L'État a assuré 388 trains de permissionnaires en 1915, 1.355 en 1916, 5.500 en 1917, 5.700 en 1918.”
3. Les premier soldats tués sur le front furent Jules Vialon, qui était natif d’Avignonet-Lauragais, est mort le 20 août 1914. Il meurt en captivité à Dieuze, en Moselle qui était alors allemande. Il avait participé à la bataille de Morhange et avait été vraisemblablement été blessé lors de l’affrontement très violent qui dura deux jours entiers. Les prisonniers français blessés avaient été mis dans les cours de la caserne de Dieuze. Julien Gazel mourut le 22 août 1914 des suites des blessures reçues au combat lors de la terrible bataille de Bertrix (Belgique) où périrent tant des Gascons. Jean Marie Darnaud, Fonsorbais de naissance, est lui aussi mort des suites de blessures de guerre le 13 septembre 1914 à l’hôpital de Bordeaux. Il avait été blessé lors de la célèbre bataille de la Marne. Louis Canguilhem, «tué à l’ennemi» selon la formule en usage sur les fiches militaires, est mort le 24 septembre 1914. Il fut tué dans le bois de la Voisogne, à Flirey dans le département de Meurthe-et-Moselle. Le lendemain ce fut Jean Touron qui disparaissait à Lacroix-sur-Meuse dans le bois des Chevaliers, département de la Meuse à quelques kilomètres du lieu où disparut Alain(Henri Alban) Fournié. Jean Pierre Ferré est tué le 30 septembre 1914 dans les combats de Bernécourt, très prés du lieu où est tombé Louis Canguilhem dans le département de la Meurthe-et-Moselle. Ces premiers morts de la guerre montrent bien l’éparpillement des hommes sur le front occidental entre Suisse et mer du Nord. Ils montrent aussi la violence des batailles des frontières en août, de la bataille de la Marne et du début de la course à la mer en septembre 1914.
4. A partir du 19 novembre 1914, le transfert des corps des soldats tués fut interdit par le généralissime Joffre pour d’évidentes raisons matérielles mais aussi morales et évidemment sanitaires. Il ne sera autorisé qu’à partir de la fin de l’année 1920.
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